Alain Grand – médias

la presse

  • Henri-Charles Tauxe, 24 heures, 11 juillet 1997

    Pendant les quatre dernières années de sa vie, Alain Grand a tenu un journal où il devenait le chroniqueur lucide et passionné de son aventure personnelle. Avant même d’avoir passé son bac, il sait qu’il n’aura rien d’une carrière bien balisée, mais s’accomplira à travers l’art, la poésie, la scène la musique, ce que nous avons de plus exaltant, source de nos plus hauts plaisirs.

    Refus des conformismes (« votre cohérence, je m’en fous » – « j’emmerde les structures »), acceptation de la solitude, du risque, maturité étonnante de celui qui comprend très tôt qu’ il faut « oser pour savoir », toujours essayer, ne jamais cesser de chercher, même à travers la mort, « frontière illuminant de vie », cette chienne de vie,  comme il dit, mais qu’il n’a cessé d’aimer et qu’il appréhende aussi comme un « texte sans ponctuation ».

    Rien de réel, d’humain ne saurait être étranger à ce précoce nomade  telluro-cosmique percevant que « l’histoire du monde tient dans un seul grain de sable ». Les frontières, les barrières stupides ne pouvaient exister pour celui que l’on peut légitimement considérer comme surréaliste de naissance et qui saisissait d’intuition l’unité première entre le réel et l’imaginaire, le conscient et l’inconscient, le palpable et l’impalpable, la terre et le vent qui l’enveloppe…

  • Henri-Charles Tauxe, 24 Heures, 21 septembre 2001

    Evoquant cette réalité première, incontournable, que la vie veut la vie et nous renvoie à la mort comme à notre ultime possible, Montaigne parlait de la  « nihilité  de l’humaine condition ». Certaines circonstances nous font sentir cette finitude avec plus d’impact émotionnel. J’ai donc choisi d’axer cette chronique sur ce que j’ai vécu en découvrant, aux Ateliers mécaniques de Vevey, les œuvres d’Alain Grand, décédé accidentellement  à l’âge de 21 ans !

    S’il fut habité par le besoin d’écrire, il s’intéressera aussi à l’univers du théâtre, de la musique et de l’écriture. Mais c’est dans la réalisation d’une cinquantaine de grandes peintures qu’il ira jusqu’au bout  de la manifestation inventive du monde à la fois riche et subtile qu’il portait en lui.

    Nous ne nous trouvons jamais enfermés dans une vision étroite du réel quand nous suivons le cheminement d’Alain Grand dans ses œuvres. Nous sommes toujours englobés dans une mouvance où la présence  terrienne la plus immédiate  vibre d’une rythmique intime où nous percevons ce que je poétise volontiers comme le « quantique des quantiques ». (…)

    Mais c’est la grandeur de ce peintre éphémère d’avoir toujours su, quand l’angoisse et le désespoir menaçaient de le détruire, rebondir vers la création, l’imaginaire, la connaissance vécue. « Je ne suis ni un fanatique de religion ni un fervent serviteur de la science. Je crois seulement à la vie… à la vie qui nous regarde passer sur les quais du monde. »

    Le sens de l’existence. Tout est en nous.

  • Michel Caspary, 24 Heures, 29 août 2001

    Il y a quelque chose d’époustouflant. D’abord l’immensité et l’aménagement du cadre, une halle de 150 mètres de long, très haute et avec une verrière. Elle fait partie des anciens Ateliers mécaniques de Vevey. Une série de rideaux noirs délimitent sept thèmes correspondant au parcours de l’artiste Alain Grand. L’ampleur du site n’étouffe pas les œuvres. Au contraire. Elle les met en valeur, en pleine résonance avec le titre de l’exposition : « De la matière jusqu’à mon infini. »

    Epoustouflantes aussi ces toiles au format imposant, révélatrices d’un talent jaillissant, d’une authenticité à la fois tourmentée et sereine. Une série de dessins,  de taille nettement plus petite, complète le panorama. C’est bien la fulgurance poétique d’une vie peu ordinaire qui s’incarne. Si les toiles sont autant de coulées de lave, les dessins semblent décrire l’intérieur du volcan. La comparaison, cependant ne concerne qu’une facette de l’artiste. Une autre le montre attiré par des galaxies plus douces, plus intimes, liant d’une certaine façon l’enfance au cosmos. Grandir, ce n’est pas seulement s’élever. C’est également s’approcher des étoiles sans savoir à l’avance où se cachent la lumière et le néant.

    Il y a quelque chose de mélancolique dans cette exposition. Elle tient de l’hommage. Mérité, mais si précoce. Alain est mort en 1996, il avait 21 ans. À voir toutes ces œuvres, pour la plupart réalisées en moins d’une année, on se dit que ce jeune homme avait un bel avenir devant lui. Le plus étrange est de constater la finition des œuvres. Peu ou pas de retouches : elles ont été conçues le plus souvent d’une traite. Elles n’ont rien pourtant de «jeté », ou si peu. La spontanéité de la création ne s’est pas faite au détriment de la minutie du geste, de la densité du propos, de la virulence des émotions. Autre élément étonnant : la rareté des esquisses, des toiles de chantier. Comme s’il fallait faire vite, capter ce désir de peindre, de créer, de s’exprimer, de chercher, avant qu’il ne s’envole. Faire acte ainsi de vraie présence au monde, s’y confronter, quelles que soit les incertitudes et les colères.

    Alain Grand aimait aussi le théâtre, la musique, l’écriture. Il prend des cours chez Diggelmann, donne un concert aux Théâtre des jeunes d’Orbe et présente des sketches improvisés à la Dolce Vita. D’où la volonté d’organiser à Vevey, en plus de l’exposition, des animations qui rendent compte de ses passions. S’il termine son gymnase, ce n’est pas sans turbulences. Indépendance et honnêteté lui sont essentielles. Il sera un temps habitant de la rue, au milieu des exclus de la société, et du Parachute, où il rencontre Mère Sofia, sans cesse à l’écoute, qui l’aide à ne jamais perdre le sourire, comme il le dit lui-même dans son journal intime.

    La lecture de son Journal fait apparaître un jeune homme d’une grande ouverture aux autres, rêvant de beauté, de solidarité, bataillant contre ces « villes qui se trompent », dévoreuses d’espaces et d’espoir. Souffle un vent de post-adolescence, bien vite balayé par une tornade créatrice. Ses œuvres en témoignent, tel son Journal, innervé d’un sens poétique limpide et profond. « On n’est jamais seul mais toujours unique » écrit-il à 17 ans. Cette singularité fait sa force et met au jour ses faiblesses. Peu importe. Il avance, sincère, curieux, et dans son corps semble frémir une sève qui ne demande qu’à déborder.

    La mise sur pied de cette exposition  a pris plusieurs années. Nombreux sont ceux qui ont participé, bénévoles, fonctionnaires, patrons d’entreprises ou membres de la famille d’Alain Grand.

    Son père, hier, lors de la conférence de presse, n’a pas manqué de les remercier, y compris Alain Gilliéron, de l’Estrée, et René Berger, ancien directeur du Musée cantonal des beaux-arts. Lequel a su, de manière caustique ou pertinente, parler de l’art en général et de cette œuvre en particulier, sorte de big-bang pictural. Elle est née en un temps accéléré, elle devrait survivre, par la grâce de cet événement – et Alain Grand avec. 

  • Céline Pior, 30 août 2001

    Il est des êtres qui voient plus loin que le visible, perçoivent le nœud de la vie, de la lutte des énergies, dans les couleurs et les vibrations de la matière. Alain Grand est de cette étoffe. Il tisse le sens de son existence dans la peinture, la poésie et le théâtre jusqu’à ce jour de juin 1996 où un accident de la route l’emporte vers l’éternité. (…)

    Enfant de la terre, petit-fils de vigneron, Alain Grand avait semé à tous les vents, avant d’être déraciné brutalement, son besoin d’évasion et son attachement. A la fois libre comme l’air, et relié à la matière. En proie au malaise heureux parce vital d’être là en même temps qu’ailleurs, dans l’univers parallèle de l’imaginaire.  Ses toiles crient cela dans le silence d’une forêt d’étoiles. Immenses, hautes parfois de deux mètres, elles s’animent d’un mouvement presque cosmique  entre le clair et l’obscur. Puis l’image se met à parler : « les villes se trompent » écrit-il en majuscules autour d’une planète en fusion. Pendant que non loin de là, un lutin solitaire se grise de la misère du monde. Rassemblées par ses proches, ses œuvres ont suscité l’enthousiasme de René Berger. Lequel, saisi par la fulgurance de ce talent, a encouragé la famille à l’exposer. Lucide et prêt à tout  pour ne pas cesser d’espérer, rebelle autant qu’ « inoffensif » comme il le dit dans ses cahiers, le jeune artiste voyait la vie en grand et il se sentait bien la dépasser. Et voilà qu’elle le rattrape au seuil du deuxième millénaire, et accroche des éclats de son cœur aux cimaises  d’un espace à sa mesure, illimité.

  • Le Courrier, 1er septembre 2001

    Alain Grand n’avait pas de notoriété publique. Pourtant, plus de 40 personnalités des médias et des arts se pressaient au lancement d’une manifestation aussi belle par ses dimensions que par ce dont elle témoigne : la fidélité à l’authenticité d’une vie toute entière tournée vers la compréhension  de soi et du monde. (…)

    Alain Grand a tout vécu dans une quintessence qui donne le vertige. Il est ainsi tout à la fois écrivain poète, comédien, musicien, chanteur, et peintre tout en étant aussi compagnon de la Dolce Vita et de Mère Sofia, la moniale orthodoxe des rues de Lausanne.

    La famille a décidé de se mobiliser pour offrir au public la totalité de l’œuvre  picturale, une cinquantaine d’œuvres de grands formats, peintes d’un seul trait et en moins d’une année. C’est ainsi que jusqu’au 15 octobre, une halle des anciens Ateliers mécaniques de Vevey accueille cette exposition, pas ordinaire, entièrement inspirée par la gratuité et la grâce. C’est cela, sans doute, qui a attiré tant de gens  à être témoins de l’éclat d’une vie transfigurée par la fulgurance de l’instant et de l’éternité. C’est cela aussi qui a poussé tant d’artistes à habiller l’exposition par des spectacles de danse, de théâtre, poésie, et musique, tous travaillés, autour d’Alain Grand qui, dès lors, vit.

  • La Presse, novembre 2001

    Il y a un an, l’exposition des œuvres d’Alain Grand aux anciens Ateliers mécaniques de Vevey, accompagnée de spectacles de danse, de théâtre, de musique et de moments littéraires, attirait plus de 6000 visiteurs. Presque toutes les œuvres ont été vendues. Grâce à l’accueil généreux de la Ville de Vevey et au soutien des sponsors, l’opération se solde par un bénéfice de 60’000francs ! En remerciant tous les acteurs de cette réussite, Pierre Grand, le père de l’artiste disparu, attribue cette somme, au nom de l’Association Alain Grand, à trois institutions qui furent chères à Alain. Il s’agit de l’Ecole Vinet et du Gymnase de la Cité à Lausanne, et surtout du Parachute, unité d’accueil créée par Mère Sofia. Ce lieu a joué un grand rôle dans la vie d’Alain Grand qui y vécut un an en accompagnant Mère Sofia dans ses tournées pour en expliquer le rôle essentiel auprès des déshérités.

  • Jean-Philippe Rapp, Coopération, 19 septembre 2001

    Etats d’urgence, fulgurance, le passage du poète  est trait splendide de l’aube, clairvoyance, vite carbonisée quand le regard se fixe sur le soleil, énergies mêlées. A terme, c’est le silence de Rimbaud. Tout est dit à 17 ans. D’autres chemins, en prosateurs, racontent alors la lumière qui rebondit sur les êtres et les choses. D’autres encore quêtent profondément. Certains sont foudroyés.

    9 juin 1996. Une voiture à contre-sens broie le véhicule d’un jeune conducteur qui est tué sur le coup. Il avait 21 ans et s’appelait Alain Grand. Trou noir, silence et douleurs des proches. Cinq ans plus tard, Alain réapparaît lors d’une exposition à Vevey.

    Découverte. Le récit d’une quête d’absolu dans une sorte de préscience d’un destin. Urgence d’un journal à l’image de celui de Jean-René Huguenin. Urgence d’une œuvre picturale maîtrisée. (…) Balancement de révoltes en questions, d’apaisements en déchirure. René Char aurait répété : « Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard, ni respect. »  Et la mort ne fait rien à l’affaire. Elle n’est ni réponse ni explication. Elle commence à nous détruire dès le refus de l’absolu. L’émotion qui nous étreint devant un tel appétit de vie naît aussi de l’usage nonchalant que nous en faisons nous-mêmes.

    De la matière jusqu’à mon infini, Alain Grand tend la corde de la volonté en une exigence totale.

    « Aimer le vide

    pour toute sa splendeur

    Etre vide

    pour emplir l’espace »